Working Paper
Développement, Aide, et Conflit
Réflections á partir du cas du Rwanda
Le génocide rwandais est le résultat final d'une combinaison de mécanismes dont aucun ne peut revendiquer être prioritaire ou indépendant des autres. Parmi ces mécanismes figurent une extrême pauvreté et la réduction des perspectives d'avenir pour la majorité de la population, tout particulièrement depuis 1985; l'invasion du Front Patriotique Rwandais (FPR) et la guerre civile qui l'a suivie; une masse paysanne non-éduquée, traitée d'une manière autoritaire et condescendante, maintenue dans l'ignorance; une histoire d'impunité, de violation des droits de l'homme, de corruption et d'abus de pouvoir; une frustration profondément ressentie et un cynisme de la part de la majorité des pauvres; une inégalité sociale, régionale et ethnique qui s'est accrue rapidement; des stratégies politiques utilisées par de petits groupes d'élites afin de se protéger face aux pressions de mécontentement et de démocratisation; l'existence d'actes de violence présents et passés; et une histoire de racisme encouragé par l'Etat et ses institutions. Une assertion clef de cet essai est que la façon dont 'le développement' a été défini, dirigé et mis en oeuvre par le gouvernement et par la communauté d'aide internationale est d'une importance primordiale pour comprendre la création et l'évolution des mécanismes mentionnés ci-dessus. Le Rwanda, comme beaucoup d'autres pays soi-disant en voie de développement, est par structure une société violente, non seulement lorsqu'elle subit un énorme dommage physique par conflit armé de la part d'un groupe contre l'autre, comme depuis 1990. La violence structurelle se manifeste par une profonde et toujours croissante inégalité de perspectives d'avenir; par la corruption, l'arbitraire, l'impunité; par le manque d'accès à l'information, à l'éducation, et aux besoins élementaires; et par un Etat et un système d'aide omniprésents, autoritaires, et condescendants qui limitent au lieu d'enrichir les perspectives d'avenir de la plupart des gens. La violence aiguë est alors utilisée pour différents objectifs: c'est un outil à employer en vue de gain personnel temporaire — pratique aussi courante que largement acceptée; c'est une soupape de sureté (favorisant le relâchement de la pression due à la frustration et au manque d'auto-respect) qui est acceptée voire encouragée par les responsables politiques; et c'est aussi une possibilité d'emploi pour ceux qui rejoignent milices et bandes, leur gain potentiel largement supérieur à toute opportunité légale disponible. La violence structurelle engendre la violence aiguë et vice versa. Les tentatives pour financer un développement induit défini en tant que croissance économique (tout en négligeant les questions sociales, politiques et ethniques) ne limiteront que très peu la violence si toutefois elles n'y contribuent pas. La violence au Rwanda a eu pour l'origine une idéologie raciste et génocide qui par suite s'alimentait de deux mécanismes structurels fondamentaux: l'un ayant son origine au sommet, l'autre à la base. Depuis des décennies, le racisme anti-Tutsi avait servi de stratégie délibérée en vue de légitimer le pouvoir en place. Ce racisme a été maintenu actif grâce à une structure discriminatoire, publique et systématique dans laquelle il n'a jamais été autorisé d'oublier le 'problème tutsi.' Sous la menace provoquée par des changements économiques et politiques, une partie de l'élite a eu recours à un usage accéléré de l'ancienne stratégie et a réussi de façon efficace à la répandre à travers la société. En même temps, le préjudice raciste était le moyen pour les gens du peuple, soumis à la violence structurelle et à l'humiliation, de donner du sens à leur malheur par voie de projection et en rejettant la responsabilité de leur misère sans cesse croissante sur des boucs-émissaires. Le racisme soutenu par l'Etat a donné un sens de valeur aux Hutus laissés-pour-compte aussi bien qu'une 'explication' pour le mal-développement auquel ils étaient soumis dans la vie quotidienne. Le génocide rwandais était le résultat extrême de l'échec d'un modèle de développement basé sur l'exclusion ethnique, régionale et sociale; qui augmentait la privation, l'humiliation et la vulnérabilité des masses; qui a permis au racisme et à la discrimination, supportés par l'Etat, de continuer sans répit; qui était trop hiérarchique et autoritaire; et qui a laissé les masses mal informés, non-éduqués et incapables de résister aux ordres et aux slogans. C'était aussi l'échec d'une pratique de coopération de développement basée sur une amnésie ethnique, la technocratie, et une politique aveugle.